Entretien avec Florian Dupont – agence ZEFCO

L’agence Zefco s’est donné pour mission d’être acteur de la transition écologique. URBANICC a voulu savoir comment Zefco, au sein de l’équipe de maîtrise d’oeuvre, insuffle son expertise technique et sa sensibilité dans la rénovation d’Ivry Port. Rencontre avec son co-fondateur, Florian Dupont.

Propos recueillis par URBANICC le 8 février 2021.

Vous êtes intervenus sur des projets tant de développement de ville que d’opérations immobilières. Quels enseignements en tirez vous pour la ZAC Ivry Confluences ?

Nous intervenons beaucoup sur les deux échelles, parce que nous aimons bien cet aller-retour entre la conception du bâtiment et la conception du projet urbain : les deux se nourrissent beaucoup. Et puis notre métier, la transition environnementale, pose la question de l’objectif à long terme qu’on se donne. Le bâtiment c’est un temps long, mais l’urbanisme c’est un temps très long. Et la transition environnementale c’est un temps très long mais avec une intensité, une radicalité rendues nécessaires par l’urgence actuelle sur le climat et la biodiversité.

Le projet Ivry Confluences est intéressant parce qu’il correspond à une typologie d’opération urbaine qui est importante pour la transition des villes, à savoir le renouvellement urbain, la reconstruction de la ville sur la ville. Le fait que ce soit une ZAC à trous où on garde des éléments, et où on vient y accrocher des projets est particulièrement intéressant. L’enjeu, c’est de faire muter l’existant.

Vous avez travaillé sur des projets similaires ?

C’est notre quotidien. Par exemple, la ZAC des Groues à Nanterre, le projet de la ZAC Pirmil-Les Isles près de l’Île de Nantes, le projet de renouvellement urbain Le Val Fourré à Mantes la Jolie.

Qu’est-ce qui vous a marqué quand vous êtes arrivés sur ce terrain ? Que vous êtes-vous dit en regardant tout ça, « j’aurai réussi si… », si quoi ?

J’aurai réussi si j’arrive à ce que la question environnementale trouve sa place dans toutes les tensions socio-économiques qui traversent la première couronne parisienne.

Le grand enjeu de la première couronne parisienne d’un point de vue démographique et urbanistique c’est l’accès au logement. Cet enjeu domine tous les débats.

Il faudrait que la question environnementale devienne suffisamment désirable pour qu’elle puisse contrebalancer la densité, les coûts de construction dans les bilans d’opération.

L’atelier de la ville en transition.

Florian Dupont, co-fondateur avec François Peyron de l’agence ZEFCO.

J’ai fait un IUT en environnement, suivi d’un master en urbanisme puis d’un master en ingénierie pour l’environnement dans l’architecture. Cela illustre assez bien mon métier : faire l’aller-retour entre l’ingénierie environnementale et la conception. Donc plutôt à l’échelle de l’urbanisme essentiellement. Et de plus en plus sur le bâtiment. François et moi, nous étions tous les deux en charge de deux pôles d’un bureau d’étude en environnement de 30 personnes. François s’occupait du bâtiment, et moi de ce qu’on appelait ville et territoire. Avec les appels à projets urbains innovants, nos métiers se sont rapprochés, nous avons été amenés à travailler ensemble et nous avons décidé de monter ZEFCO, il y a exactement 3 ans. 

Quel est votre rôle dans le groupement ? Comment travaillez-vous avec vos partenaires ?

Nous sommes là pour répondre à la plupart des questions environnementales ou essayer de les influencer. Ça peut être les choix sur la morphologie urbaine et les questions sur la manière de gérer les eaux, les déchets, sur le processus à tenir pour réemployer les matériaux issus de démolitions. L’ambition qu’on va fixer sur la place du vélo dans la ville, sur les matériaux bio-sourcés dans les bâtiments.

Nous intervenons au niveau du plan guide et au niveau des fiches de lot. Le plan guide permet de fixer les grandes stratégies, notamment de réemploi et de nature. Les fiches de lot permettent d’élaborer des prescriptions. Nous sommes beaucoup dans la négociation des prescriptions. Les questions environnementales sont très négociées par les promoteurs.

Inondabilité

Comment être résilient aux risques d’inondation dans la ZAC ?

A Ivry, chaque bâtiment doit pouvoir être un peu résilient à l’arrivée d’une crue, cela veut dire par exemple que tous les postes d’énergie sont au R+1 et pas au RDC. Et que dès qu’il y a un logement en RDC, il faut qu’il ait un niveau au-dessus en cas de crue. Il y a plein de petites règles qui, cumulées, génèrent des RDC particuliers à Ivry.

Il y a un gros sujet sur les réseaux, les transformateurs et les échangeurs thermiques qui sont au R+1.

Nous élaborons toute une série de prescriptions qui sont assez techniques, pour que ce soit viable en temps de crue, et aussi que ça puisse redémarrer vite. Il s’agit tout de même d’ un évènement très rare, donc ça ne peut pas dessiner toute la ville.

Bilan carbone

Quelles innovations environnementales pour diminuer l’empreinte carbone sur les voiries, les espaces publics, les projets immobiliers ?

Dans le bilan carbone vous avez 3 sujets : la mobilité, la construction et l’énergie.

Aujourd’hui le travail sur la mobilité est déjà focalisé sur la réduction des besoins en mobilité. On essaie d’avoir un maximum de services à proximité pour ne pas avoir besoin de se déplacer. C’est essentiel, parce qu’on a tendance à nier que pour atteindre les objectifs climatiques il faut que les gens se déplacent moins.

On sent qu’on a besoin d’un grand changement sur le rapport à la voiture, très engagé à Ivry Confluences, puisque le quartier est structuré par les grands axes des transports en commun qui sont en train de se développer. De notre côté, nous essayons de pousser très fort la question du vélo. Le cycliste cohabite bien avec le piéton et c’est un mode de déplacement bon pour la santé,  à la fois pour les gens qui en font et pour les gens qui sont à côté. Cela implique qu’il faut des RDC capables de stocker tous ces vélos, ce n’est pas du tout anodin dans l’architecture

Ensuite vous avez l’action de la construction. Nous essayons de pousser une décarbonation de la construction qui n’est pas évidente. En effet, il faut reconnaître que pour construire peu cher, c’est beaucoup plus facile en béton. Nous essayons donc de progresser petit à petit pour un peu de bois, d’autres matériaux biosourcés, du réemploi, de la pierre. La réalité c’est que le béton est tellement industrialisé, tellement utilisé, que tout le reste est plus cher. Nous essayons d’opérer un changement du côté des majors du bâtiment qui sont dans le métier de l’entreprise générale, pour qu’ils arrêtent de raisonner avec du béton et se mettent à faire du bois, ce qu’ils commencent à faire. Et en parallèle, les entreprises de l’industrie du bois qui ne font que de la charpente se mettent à faire de l’entreprise générale et ainsi le bois devient un peu la matrice naturelle des bâtiments. C’est un processus de transformation et de formation qui est assez engagé.

Pour finir, il y a l’énergie. Nous insistons beaucoup sur la performance bioclimatique des bâtiments et notamment l’anticipation du climat qui change. On ne peut plus se permettre de faire des bureaux de couleur sombre qui ne soient pas protégés du soleil, parce que sinon ils vont surchauffer très vite. On a besoin d’offrir de bonnes solutions de ventilation naturelle avec si possible de la végétation présente pour que les gens puissent avoir accès à des espaces frais en cas de canicule. Nous essayons d’anticiper ces changements. 

Ivry Confluences est une ZAC particulièrement vertueuse en termes d’alimentation énergétique, avec son réseau de chaleur par géothermie. De plus, le nouveau plan guide essaie de développer l’utilisation des panneaux photovoltaïques en toiture pour produire de l’électricité renouvelable.

Vous réutilisez les eaux de pluie dans les bâtiments ?

Il ne s’agit pas tant de les réutiliser parce qu’en fait, l’été il y a peu de pluie et c’est le moment où on en a besoin donc si on peut, on va le faire. La priorité, c’est l’abattement des pluies courantes, c’est le fait de diriger l’eau qui tombe vers les espaces plantés si possible en pleine terre, pour qu’elle vienne arroser la végétation, pour l’aider à pousser et qu’elle soit plus forte notamment en cas de canicule. Quand il y a un événement de type orage, le débordement va dans les tuyaux à débit régulé.

Climat et fraîcheur

Si j’emménage dans un bâtiment qui prend en compte ce qui nous attend dans 50 ans à Ivry : concrètement, vous faites quoi pour qu’il soit frais ?

Dans 50 ans à Ivry, il faut se dire que le climat d’hiver ne va pas radicalement changer, il fera toujours froid à certains moments. On va encore avoir besoin de bâtiments plus performants et d’un bon réseau de chaleur. Par contre, il fera chaud l’été, et donc les stratégies seront différentes selon qu’il s’agit de bureaux ou de logements.

Dans du bureau, vous avez vraiment besoin de protéger et d’empêcher le soleil de rentrer dans le bâtiment parce que ça surchauffe très vite. Vous avez besoin de façades avec des brise-soleil, des parois plus opaques que les bureaux actuels qui peuvent être tout-vitré.

Pour les logements c’est un peu pareil, mais vous pouvez toujours fermer votre volet si jamais l’ensoleillement est fort. La clef repose essentiellement sur la ventilation naturelle, la capacité à avoir des logements qui sont traversants ou bi-orientés. Ainsi, si vous ouvrez toutes les fenêtres et notamment la nuit, vous pouvez avoir un courant d’air. Même avec très peu de vent, parce qu’il y a une différence de pression entre les deux façades. Ça va permettre de ventiler le logement, de refroidir les masses thermiques qui auront chauffé toute la journée, et de s’aérer.

Un autre point important, c’est d’avoir des prolongements extérieurs. Si vous avez un balcon, une loggia, vous pouvez sortir de chez vous et vous rafraîchir.

Et il y a une règle importante : la réduction de l’îlot de chaleur urbain. C’est assez simple : il faut des matériaux clairs, qui stockent peu de chaleur et du plein sol, de la végétation autant que possible. Ça paraît simple, mais en fait ce sont de petites batailles. De temps en temps, vous pouvez être tenté pour des raisons architecturales de vous orienter vers un revêtement sombre.

Et sur les voiries existantes, les trottoirs, proposez-vous des changements ?

Quand on pourra, on va le faire, en essayant de trouver des revêtements poreux, perméables. Mais il ne faut pas nier l’évidence, on est vite très contraint. Nous avons préféré être lucides sur ce point, cela ne veut pas dire que nous n’allons pas mener ces petites batailles, mais nous nous concentrons sur les ivrynages qui auront une structure vertueuse à la base.

Etude parc des Confluences – Sources SADEV94

Pour la ventilation de la ville, la fraîcheur, comment utilisez-vous la Seine par rapport aux bâtiments ? Il y a des ensembles de bâtiments qui vont empêcher la diffusion de l’air frais de la Seine.

Il se trouve que le potentiel du fleuve en termes de ventilation, ou plutôt de rafraîchissement, n’est pas très favorable à Ivry. Les vents suivent la Seine, et il est donc très difficile que l’ensemble du quartier soit vraiment irrigué. Il y a assez peu à en tirer de ce point de vue là. Ou alors de manière très localisée.

Vous êtes dans une configuration où vous avez du mal à capter les vents dominants. En plus de ça, il y a le couloir de vent de la Seine. De ce point de vue , il n’y a pas une situation bioclimatique très favorable.

Et le parc des Confluences, va-t-il pouvoir rafraîchir le quartier ?

Le parc va jouer son rôle très localement mais il va assez peu irradier. De toute façon, les parcs ont des rôles assez limités sur la température de la ville autour. Par contre son rôle est crucial pour permettre aux personnes de se mettre au frais quelques heures par jour.

Réemploi des matériaux

En matière de réemploi de matériaux, vous avez commencé à travailler avec l’artiste Stefan Shankland, pouvez-vous nous en dire plus ?

La stratégie de réemploi aujourd’hui repose sur 3 grandes idées.

La première c’est la chance d’avoir la SADEV comme aménageur qui démolit, prépare les terrains, réalise les espaces publics et prescrit les bâtiments. SADEV se met au cœur de ce dispositif avec le projet de créer une plateforme de réemploi.

Dès qu’elle identifiera des matériaux sur ses chantiers, elle va les stocker pour pouvoir les réutiliser dans les espaces publics, ou les vendre aux promoteurs, ou les donner à des acteurs du milieu du réemploi pour que ce soit réutilisé. C’est le rôle très particulier d’un aménageur qui décide de prendre son destin en main sur ce sujet.

Deuxième point c’est l’idée de mettre en synergie tous les acteurs du réemploi. Il y a quelques   entreprises qui existent, la Pagaille notamment.  Nous allons essayer de créer dans certaines halles un écosystème d’entreprises pour qu’il y ait des compétences et des emplois sur ce secteur. Ce projet est un peu plus embryonnaire, et moins entre les mains de la SADEV mais nous y travaillons également.

Et il y a le travail de Stefan Shankland : il fait un travail artistique autour de ces questions de reconstruction de la ville avec la ville, avec les matériaux de la ville. Récemment, nous avons réussi à récupérer quelques gravats pour que Stefan les broie et puisse en faire ce qu’il appelle du marbre d’ici, du béton de site.

Ces matériaux vont être utilisés dans des logements ?

Nous  ne savons  pas encore exactement l’utilisation que nous pourrons en faire. Nous allons d’abord cibler les espaces publics plutôt avec des objets qui marqueront l’espace public. Nous  aimerions que ce soit aussi dans les logements, par exemple sur des revêtements de sol, dans des halls. Nous allons essayer d’organiser ça avec les promoteurs.

Fiches de lot

Participez-vous à l’élaboration des fiches de lot ? Et comment vous assurez-vous qu’elles sont respectées par les promoteurs ?

Nous élaborons les fiches de lot et faisons le suivi, jusqu’à la construction. Possiblement, SADEV peut nous missionner jusqu’à la livraison du bâtiment. Et après, le bâtiment a sa vie mais cela dépend du projet. Il y a des promoteurs qui ont plus ou moins besoin d’être suivis.

Il faut faire la part des choses entre ce qui relève des imperfections liées à un chantier que l’on retrouve dans tous les chantiers du monde, et ce qui relève de pratiques exigeant de faire l’effort de mieux suivre, parce qu’il faut que ça se passe bien.

La SADEV peut vous missionner, mais ce n’est pas une mission de base ?

Elle peut nous missionner pour le suivi de certaines opérations en fonction de ses particularités ou difficultés.

Comment allez-vous pouvoir vous assurer demain que vos prescriptions sont respectées ?

Nous participons  aux jurys de concours. Nous analysons  les dossiers,   les comparons, nous  faisons des tableaux d’analyse. Après le choix du projet nous procédons à des vérifications à chaque étape.

Quels sont vos  leviers ?

C’est un processus de négociation. Il faut accepter le fait qu’il y a la vie dans le projet.  Nous sommes assez à l’aise avec cette situation puisque  nous avons aussi des missions  de maîtrise d’œuvre. Nous sommes toujours prêts à entendre que notre prescription n’est pas la meilleure solution si les équipes s’appuient sur des études approfondies. Il peut arriver qu’une équipe, après étude, nous démontre que notre prescription est certes intelligente mais que là elle ne fonctionne pas, et qu’elle nous propose d’ autres solutions. Dans ce cas nous pouvons effectivement admettre que c’est pertinent d’un point de vue du bilan carbone, du  confort des personnes, etc. Mais quand ce n’est que de la négociation, nous essayons d’être intraitables.

La maîtrise d’ouvrage a des impératifs, la maîtrise d’œuvre a des ambitions et les opérateurs, en face, sont plus ou moins ouverts . Donc on navigue avec tout ça. C’est une matière assez impure, c’est sûr.

Pour conclure

Vous êtes sur ce projet depuis près de 2 ans, quels vont être à votre avis les points durs ? Où sentez-vous le plus de résistance/réticences par rapport à d’autres projets en comparaison ?

On sent qu’il sera difficile de réussir à tordre l’équation économique pour réussir à aller chercher les quelques pourcentages de construction en plus qui permettent de faire un petit peu mieux du point de vue carbone.

Le mot de la fin ?

Je pense que nous sommes à un moment très important. Dans  notre métier nous voyons vraiment tous les chiffres qui s’affolent sur beaucoup de sujets. Et pour moi, le point important que je rencontre tout le temps, c’est que la transition environnementale va faire des dégâts. En fait, elle fait déjà des dégâts chez les plus faibles.

Je pense vraiment qu’il ne faut pas opposer la question socio-économique à la question environnementale. Aujourd’hui on a tendance à dire que l’environnement coûte cher et que du coup, pour des raisons sociales, il ne faut pas forcément le faire. C’est vraiment important de se dire que tout ce qu’on fait en matière d’environnement, on le fait pour les gens à long terme. Il faut vraiment se le dire et se le répéter, parce que sinon nous n’allons pas faire les bons arbitrages.

Merci, Florian Dupont.

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