Entretien avec Stéphane Juguet – agence What Time Is I.T. [2nd partie]

Stéphane Juguet, avec son agence What Time Is I.T., est l’un des acteurs du groupement chargé de la rénovation urbaine de la ZAC Ivry Confluences.

Il a investi le quartier l’an dernier, le sillonne, l’étudie. URBANICC a voulu entendre et vous transmettre les propos de cet anthropologue à ce point d’étape. « POP City », « La Miroiterie », « ivrynage », « Concert’Action », « diagnostic anthropologique », « comité éditorial », « BETA-programme », « ligne de front », « pétales », « Communic’Action » sont quelques-uns des concepts qu’il développe ici.

Interview conduit par URBANICC le 16 octobre 2020 – [seconde partie] [consulter la première partie].

Où en est-on aujourd’hui dans la définition du dispositif de concert’action à Ivry Port au regard de l’état d’avancement du projet ?

Nous sommes en train de discuter avec la SADEV et les élus des nouvelles modalités de concertation qu’il va falloir à un moment présenter et soumettre aux habitants et aux groupes constitués. La concertation doit devenir un état d’esprit. Certains habitants ont eu le sentiment de n’être pas suffisamment impliqués dans les orientations urbanistiques. Il y a nécessité aujourd’hui de retrouver la confiance pour renouer le dialogue. La confiance ne se décrète pas, elle se construit, elle doit reposer sur des actes. Elle prend du temps. Un autre principe important, c’est la loyauté et le respect des engagements. La matrice pour mettre en œuvre tout cela est difficile à construire.

Du point de vue des thématiques, il faut s’inscrire dans les différentes échelles à laquelle se pratique la ville :

  • Le niveau des intentions urbanistiques, défini et porté par la maîtrise d’œuvre,  les élus et la SADEV. C’est la notion de « POP city » qui va donner lieu à un manifeste en cours d’élaboration. Quelles sont les valeurs qui vont incarner cette vision ?
  • Le niveau des espaces publics qui pose la question des transports, des espaces verts, du parc, des équipements, des places, des cheminements et de l’accès à la Seine…
  • L’échelle de l’îlot, du lot. Le groupement développe le principe du béguinage adapté à Ivry Port pour créer une marque de fabrique : « l’ivrynage ».
  • L’échelle du logement qui doit être évolutif. Il faut proposer des logements adaptés aux différents âges de la vie et aux accidents de la vie.

La POP city

La notion de « POP city » portée par les élus, l’équipe de maîtrise d’Oeuvre et l’aménageur et qui sera traduit dans un manifeste en cours d’élaboration.

paysage
attachement au paysage, marqué par le port, ses emprises industrielles, sa skyline, la Seine,

originalité
la volonté d’éviter la standardisation, les modèles normés, répliqués de manière générique, à la limite de faire de l’anti ZAC,

productif
attachement à développer des activités, pas seulement de bureaux mais aussi en s’interrogeant sur la place des artisans, voire des industries, ce qui va supposer d’anticiper sur les conflits d’usage.

A côté du comité de pilotage qui donne les orientations et qui est une structure d’arbitrage, du comité technique qui doit traduire les orientations du comité de pilotage, je souhaiterais la création d’un comité éditorial qui renvoie à la notion de « mise en récit ».

Béguinage / Ivrynage

« L’ivrynage » est un nouveau concept d’urbanisme qui tire son origine dans le béguinage, et qui est adapté au contexte Ivry Port. Il s’agit d’organiser la ville du 1/4 d’heure en créant des unités autour de places, d’îlots de fraîcheur, d’espaces de respiration et des services de 1er nécessité. Le concept d’Ivrynage est essentiel car il structure le projet.

Historiquement, le béguinage trouve son origine au Moyen Age. A partir du XIIe siècle fleurissent en Europe des rangées de petites maisons construites à proximité d’églises, souvent réunies autour d’une cour ou d’un jardin. Citadelles intimistes, les béguinages abritaient des communautés de femmes veuves, célibataires ou déshéritées, indépendantes de l’autorité de l’Eglise. Ces «villages urbains» survivent en Flandres. Ces formes d’habitat semi-communautaires héritées du Moyen Age reviennent en grâce depuis la fin des années 90 en raison de leurs vertus urbanistiques qui favorisent l’échange, le bien-être et l’entraide. Ce principe de Beguinage deviendra une source d’inspiration pour imaginer les nouveaux îlots urbains appelés « Ivrynages ».

Ce comité éditorial garantirait que la ligne éditoriale de la POP city est respectée, que les messages que l’on veut incarner à travers des aménagements spécifiques  sont respectés. Au sein de ce comité éditorial la parole des habitants sera importante. On veut construire un récit. Quel récit ? A priori, j’ai compris que l’on veut construire une épopée citoyenne. On veut embarquer les habitants dans la construction d’une fabrique urbaine. Avec quels habitants ?  avec les habitants de toutes les catégories sociales , les associations, les industriels, les gens qui squattent?. Comment faire que la POP city devienne un quartier faisant toujours œuvre d’hospitalité en direction des plus vulnérables tout en suscitant de nouvelles attractivités pour renouveler la population, sans conflit d’usage ? Comment dans ce contexte construire du consensus ? Il faut assumer la controverse sans que le projet n’en pâtisse dans son rythme de réalisation. Et tout cela en respectant le principe de réalité qui est de trouver un équilibre économique.

L’Ilôt BHV va être une première application du nouveau dispositif de concertation des habitants. Ceci a été acté par la SADEV, les élus et le groupement. Comment éviter dans cet îlot l’entre soi ? Comment en faire un espace traversant qui s’adresse à d’autres que ceux qui vivent à proximité ? Il faut éviter une fracture entre le quartier historique, le faubourg qui risque de se dégrader et en face ce nouveau quartier avec ces néo-arrivants qui auraient vue sur la Seine et qui bénéficieraient de tous les services de proximité. En effet Ivry port ne doit pas être une juxtaposition d’îlots.

Un nouveau lieu a été ouvert, « La Miroiterie » : quelles sont les différentes fonctions qui étaient prévues ? Quelles sont les activités qui fonctionnent aujourd’hui ?

D’abord La Miroiterie est une maison de projet de nature différente de ce que l’on rencontre trop souvent, à savoir un lieu avec un récit institutionnel pour « vendre » le projet.

L’intention est que ce lieu soit certes au service du projet urbain, mais aussi au service des habitants. Notre objectif est d’en faire un lieu-ressource pour les habitants, ainsi qu’un lieu d’incubation d’activités que l’on souhaiterait voir émerger demain en RDC des immeubles. Il doit être un lieu de sociabilité et de convivialité permettant que la parole circule dans d’autres contextes que les seules joutes verbales à l’occasion de rencontres trop formelles (même si elles sont nécessaire).

Aujourd’hui on a réussi à mettre en place la « Cour-Cyclette », l’atelier de réparation de vélos est actif, ouvert du lundi au samedi. Pour accompagner les résidents, nous avons imaginé un bail 3/6/9 mois avec un loyer progressif pour tendre en fin de période à un loyer proche du marché. Après cette incubation, cet atelier pourra éventuellement s’installer dans les nouveaux lots et les nouveaux rez de chaussée qui vont émerger.

Nous sommes également un espace de Co-Working : par exemple 2 personnes du Far West viennent travailler car leurs conditions de logement rendent difficile le télétravail.

Nous avons également installé un dispositif d’exposition que nous avons testé cet été, même si nous n’avons pas pu l’animer comme nous l’aurions souhaité.

Enfin nous accueillons des événements, par exemple dans le cadre du festival « 94 ça chauffe » (projection d’un film, avec débats). Autre exemple, celui du CDT 94 (comité départemental du tourisme) qui  a réuni une quarantaine d’acteurs à La Miroiterie pour engager une réflexion sur le rapport à la Seine qu’ils auront lors du prochain été (ces acteurs qui tiennent des lieux, les acteurs du port , du tourisme…). Malgré la COVID nous avons impulsé quelques initiatives.

La miroiterie pourra également mettre à disposition des espaces de réunion à des collectifs comme URBANICC tout en respectant la liberté de parole et la confidentialité des échanges.

Une personne  a été recrutée comme régisseur du lieu et médiateur. Le lieu est ouvert de 9H à 18H, du mardi au samedi. En fonction de notre grille de programme, nous modifierons certainement ces horaires.

La participation citoyenne est fortement malmenée par la crise COVID-19. Quelle place restera-t-il pour intégrer les demandes des habitants ?

La COVID a donné un coup d’arrêt à la dynamique qui commençait à s’enclencher. La Miroiterie est un équipement qui n’a pas été véritablement activé (par exemple le  lieu de convivialité qu’est le bar). Il est difficile de faire de la concertation quand on ne peut pas rencontrer les gens, notamment quand on avait parié essentiellement sur des dispositifs « hors les murs » pour aller chercher la paroles des gens qui ne s’expriment pas dans les réunions publiques. Notre souhait était de nous déployer dans l’espace public donc les mesures sanitaires ont été fatales à ce plan d’actions.

Et pourtant il faut continuer à avancer. Quelles sont, aujourd’hui, mes réflexions pour que la concertation trouve sa juste audience dans ce contexte. Je vais prochainement les présenter à la SADEV :

  • Premièrement, s’appuyer sur la petite maquette qui se trouve à l’entrée de La Miroiterie. Elle héberge  plein de solutions autour du thème de la ville en transition (ferme urbaine, atelier de réparation de vélos, systèmes de production d’énergie qui pourraient être portés par des citoyens, le rapport à l’eau, une école….) donc tous les ingrédients de cette notion de ville en transition. Je souhaiterais mettre en place des ateliers permettant aux habitants de venir « piocher » des idées dans cette maquette et de chercher à les transposer à l’échelle d’un îlot, notamment celui du BHV. Tout cela pour imaginer les usages que cette idée d’Ivrynage pourrait accueillir. Nous appelons cela des ateliers de scenarii.
  • Un deuxième type d’ateliers avec des dispositifs très ludiques pourrait être mobilisé pour rencontrer les habitants dans l’espace public (si j’y ai droit) : « jouer carte sur table ». Des prétextes à l’échange et au débat pour dédramatiser la prise de parole à travers un jeu ludique dans lequel chacun se sent autorisé à parler.
  • Un troisième type d’interventions concernerait les groupes constitués (les écoles, un lycée, des étudiants, Urbanicc…). Je pourrais intervenir en lieu clos devant des représentants de ces groupes en respectant les  précautions liées à la COVID avec une série de questions que l’on appelle « BETA-programme » ( B pour bâtiment / E pour emploi / T pour transport / A pour alimentation et commerces de proximité). Ces questions pourraient être définies dans le cadre du comité éditorial.

Quelle fonction de La Miroiterie pendant la COVID ?

Il y a dans ce lieu beaucoup de débats, de rencontres. Pourquoi ne pas garder la mémoire de tout ce qui se dit par le biais d’un plateau télé, finalement d’être simplement un studio d’enregistrement. Pourquoi ne deviendrait-on pas un incubateur sur ces nouveaux métiers liés à l’image et à la captation? . On serait donc à la fois une plateforme média pour capter la parole et un outil de préfiguration pour incarner ces filières en émergence à l’échelle du territoire. Quand il y a aura du débat avec des controverses, on pourra diffuser ces enregistrements et gagner en audience. Cela permettrait aux habitants d’interagir.

Ivry Confluences n’a pas de site internet. Plutôt que de refaire ce que propose le site d’Urbanicc, pourquoi ne pas créer une plateforme d’intermédiation ?

Donc La Miroiterie dans cette période de pandémie pourrait devenir malgré tout un lieu ressource qui permettrait de gagner en audience.

Effectivement comme vous le suggérez, on peut imaginer un prolongement sur une plateforme WEB rendant compte des débats et des controverses ?

La Miroiterie

La Miroiterie – 110 boulevard Paul Vaillant Couturier – Ivry Port [y aller]

Les prochaines étapes avec les habitants, dans ce contexte de COVID ?

Il m’a été demandé de faire des propositions pour définir une de feuille de route de la concertation pendant la COVID avec la SADEV et la Ville. J’ai évoqué avec vous les ateliers que je souhaiterais mettre en œuvre.  Il faut en valider les principes, les thématiques que l’on pourrait travailler ensemble et la faisabilité au regard du contexte sanitaire.

La deuxième étape, c’est de faire en sorte que tout ce qui s’est passé de très positif autour de la Guinguette soit optimisé et ait un prolongement. Elle est l’incarnation du partenariat efficace entre la SADEV et la ville pour monter rapidement un projet au service des habitants.

Quelles alternatives au présentiel pour rendre compte de l’état d’avancement du projet, la réunion publique ayant été annulée? Je dois m’entretenir très prochainement avec les services de la ville et SADEV pour définir la nouvelle stratégie de « Communic’Action » à mettre en œuvre. Se posera la question des supports de communication (numérique), peut-être de faire de La Miroiterie un lieu média tel que je l’ai imaginé. Se posera également la question des supports à envisager pour rendre compte de l’état d’avancement du projet et des étapes de livraison et de rencontres avec les habitants.

COVID-19 – confinement acte 2
Cette rencontre s’est déroulée le 16/10/2020, avant l’annonce des restrictions liées au 2ème confinement de 2020. Certains éléments ont donc pu évoluer depuis.

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