Projet Quais d’Ivry – renouveau, densification, tours : entre espoir et inquiétudes (réunion publique du 27 mai 2024).

Après deux ans d’études techniques et réglementaires depuis la dernière réunion publique du 11 mai 2022, les partenaires du projet, l’agence d’architecte COBE, les 2 promoteurs, Carrefour et Novaxia (nouveau propriétaire de la galerie commerciale) et les représentants de la ville d’Ivry ont présenté les évolutions du projet.

Rappelons les demandes que les habitants ont exprimées lors des concertations menées en 2021 et 2022 et que le plan guide initial a plus ou moins traduit dans ses intentions :

  • Se connecter à la Seine
  • Conserver un équipement de type hypermarché
  • Créer un maximum d’espaces végétalisés, d’espaces de pleine terre
  • Créer des espaces verts accessibles au public
  • Créer un signal d’entrée de ville
  • Rechercher un « urbanisme humain », sur la base d’une densité raisonnable
  • Prévoir une intégration urbaine du nouveau quartier qui soit respectueuse des ilots existants habités

Des études réglementaires et techniques qui ont conduit à requestionner fortement le plan guide présenté en mai 2022

La commissaire enquêtrice dans son rapport de l’enquête publique liée à la procédure de modification du PLU a émis un avis défavorable, notamment en raison de sa forte densité, de l’absence de scénario alternatif qui aurait faciliterait son acceptabilité sociale, de la gestion des interfaces avec l’urbanisation existante, de l’absence de description précise des équipements d’intérêt général qui seraient préfinancés par les promoteurs.

Extrait de l’avis «envisageant les inconvénients environnementaux et sociaux, ainsi que les incertitudes du projet au regard des avantages attendus par la collectivité, et conditionnés par la rentabilité d’une opération privée, je considère que l’intérêt général n’est pas caractérisé ».

Quais d’Ivry – schémas directeur initial et revu (source ville d’Ivry)

En synthèse pour comprendre l’essentiel

– Un nouveau schémas directeur très sensiblement différent de celui issue des phases de concertation, est présenté.

– De nombreuses tours de 15 / 16 étages, en périphérie du projet, à proximité directe d’habitat faubourien existant.

– Le square disparait au profit d’une tour de 15 étages. Il avait portant un rôle essentiel de transition entre ce projet très dense et le quartier faubourien existant.

– Les acteurs du projet se justifient par des contraintes techniques identifiées très tardivement ou non connues, démontrant au passage un certain amateurisme – assez étonnant pour un projet d’une telle envergure.

– Ainsi, certains sujets de la concertations sont remis en cause. Une concertation donc plutôt biaisée, en dépit d’une forte médiatisation par la ville.

– Notons que le projet n’est pas guidé par une simple logique d’équilibre budgétaire. En réalité, il repose sur une exigence de rentabilité économique (avec un niveau minimum de bénéfices pour le promoteur, ce qui est normal pour cette opération totalement privée).

– L’enquête publique a amené la Commissaire-enquêtrice à émettre un avis défavorable. Elle juge notamment que certains arguments ne sont pas justifiés (nombre de logements sociaux, cadre de vie, vague engagement sur des équipements publics sans précision, …)

– Un projet très structurant pour Ivry Port Nord, mais à ce stade de nombreuses interrogations subsistent. La ville et les acteurs du projet avancent des contraintes techniques et financières, et un calendrier très serré pour ne pas ré-ouvrir les discussions. Doit-on y voir une volonté non assumée de fermer toute concertation?

Les études techniques ont fait apparaitre des contraintes fortes qui n’avaient pas été anticipées :

  • Un ouvrage de stockage des eaux du SIAAP (service public de l’assainissement francilien qui transporte et dépollue les eaux usés, eaux pluviales et industrielles) traverse en diagonale le terrain de l’hypermarché. Le plan masse de cet îlot central doit respecter un périmètre de sécurité autour de cet ouvrage de 37,5 m, ce qui a nécessité sa recomposition.
  • Le niveau moyen de la nappe phréatique est plus élevé de 2m au-dessus de l’estimation, ce qui a entrainé la suppression d’un niveau de parkings.
  • Les prescriptions en matière de sécurité incendie émises par la Brigade des sapeurs-pompiers ont abouti à de profondes modifications : dans l’îlot bord de Seine, la suppression des commerces en R+1 remettant en cause les terrasses avec jetée sur la Seine; dans l’îlot central, une demande de dérogation serait nécessaire pour superposer des logements sur l’hypermarché, ceci conduisant à y repositionner les immeubles d’habitation.

Que penser de la suppression du square ?

Ce square devait faire transition entre ce projet d’urbanisme haut et dense et le quartier faubourien dans le prolongement des rues Westermeyer et Jean-Jacques Rousseau.

Remplacé par une tour de 15 étages, cette surface végétalisée de pleine terre se retrouve maintenant disséminée aux pieds des tours, pour un usage totalement différent.

Le projet propose un jardin en cœur d’îlot, mais :

  • sera-t-il accessible au public ?
  • entouré d’immeubles, comment se passera la promiscuité entre ses usagers et les habitants ?

A ce stade, la suppression du square est une réelle et grosse déception. Les tours vont écraser le quartier existant. Une brutalité qui pourrait remettre en cause le niveau de qualité de vie tant mis en avant par la ville et le projet. L’architecture actuelle est considérée comme une erreur, la nouvelle risque-t-elle de l’être aussi ?

Des changements du schéma initial qui accentuent la configuration d’un quartier de tours

  • L’îlot central est agrandi, l’hypermarché se développe en longueur, et la traversée au sol reliant les rues Westermeyer et Vanzuppe est supprimée. Les logements se développent dans de fortes émergences autour de l’Hypermarché.
  • La densité globale diminue d’environ  10% pour s’élever à 127.000 m2 représentant 2,75 fois l’emprise du terrain d’assiette (4, 5 Ha). La nouvelle répartition des surfaces entre logements, activités et commerces n’a pas encore été arrêtée.
  • Ce sont 9 tours de 15/16 étages qui vont émerger.
  • Le jardin sur le toit de l’Hypermarché voit sa surface augmentée de 40% pour atteindre 8.000 m2. Un apport de terre sur une hauteur de 1,2 m devrait permettre une forte végétalisation. A ce stade de l’étude, la ville souhaite que ce jardin soit public. Il devrait être accessible à tous par 2 larges escaliers depuis l’espace public de circulation. Sa nouvelle configuration et son extension permettent de préserver des ouvertures pour la copropriété JJ Rousseau.
  • Le square de 2000 m2 à l’angle des rues Westermeyer et Jean Jacques Rousseau est supprimé au profit de la construction d’une tour. Il est remplacé par des espaces verts qui augmentent en surface (doublement ?) mais ils se glissent entre les bâtiments et leur statut, public ou privatif, n’a pas été très précis.
  • Le Belvédère au-dessus de la Seine est supprimé. De simples passages au niveau rue permettront de rejoindre les berges.
  • Le désenclavement de la placette des Fauconnières est maintenu et fait partie du projet.
Insertion du projet dans le quartier actuel – simulation par Urbanicc
Insertion du projet dans le quartier actuel – simulation par Urbanicc

Des critiques et des inquiétudes manifestées par les habitants que les échanges n’ont pas permis de lever

L’agence d’architecture a tenté dans sa présentation de mettre en évidence des évolutions positives, de donner des références urbaines reconnues parmi les réalisations dans la ZAC Paris Rive Gauche et a qualifié le nouveau schéma directeur de «  projet Ivryen, social et solidaire », bâti selon les « principes de la ville du 1/4 d’heure ».

Ceci n’a pas réussi à calmer les inquiétudes des habitants qui s’étaient d’ailleurs exprimées tout au long des premières phases de la concertation. Ils restent partagés entre leur impatience à voir disparaître un environnement urbain dégradé, disqualifié, totalement minéralisé, et leur crainte d’une nouvelle erreur urbaine après celle des années 80 qui aboutit aujourd’hui à une démolition totale. La densité retenue inquiète. Les habitants s’interrogent sur la capacité des décideurs et des acteurs à en maîtriser tous les impacts.

  • La rupture urbaine avec le quartier existant de caractère faubourien est une critique récurrente. La silhouette urbaine dessinée par un ensemble de tours proches va peser sur les représentations collectives et va constituer une brutalité pour les habitants en place.
  • Comment vont être gérés tous les flux générés par 3.000 / 3.500 habitants, un hypermarché, des commerces et des activités dans un secteur d’entrée de ville déjà très encombré ? Les résultats des études de circulation n’ont pas été présentés aux habitants. Les transports en commun et les changements de pratiques de mobilité, évoqués par la ville, suffiront-ils à apporter des réponses ? Comment seront pris en compte les besoins en équipements publics liés à cette augmentation importante de population ? La ville a répondu pour les besoins scolaires avec le projet de construction, sur l’emplacement de la maison de la citoyenneté, d’une école maternelle/primaire.  L’opération contribuera à son financement dans le cadre d’un Projet Urbain Partenarial (public / privé).
  • La suppression du square à l’angle des rues JJ Rousseau et Westermeyer est une déception : il faisait l’interface avec le quartier existant et les habitants avaient fait des propositions d’aménagement précises. La configuration et le statut du nouveau square sont apparus flous.
  • L’ouverture à la Seine, l’accès aux berges, le front de Seine ont suscité des interrogations sur la réalité de la connexion au fleuve et sur la ligne urbaine.
  • Le jardin public sur le toit de l’hypermarché entouré de tours d’habitations va jouer un rôle déterminant dans le fonctionnement social de l’îlot, son image, son attractivité. La ville aura-t-elle les moyens d’un entretien rapproché et d’une régulation des usages ?
  • Les habitants du quartier s’inquiètent de la dégradation de l’hypermarché, de la baisse de la qualité du service et constate une désaffection qui s’accélère. Des salariés sont venus témoigner des problèmes de sécurité auxquels ils sont confrontés, notamment dans le parking et de leurs inquiétudes sur l’avenir de cet équipement commercial. La stratégie à terme de Carrefour est questionnée. Le projet d’occupation temporaire de la galerie commerciale lancé par Novaxia avec l’appui de Pali Pali pour une durée de 8 mois à 1 an dans l’attente du démarrage des travaux, va-t-il redonner vie à ces lieux ?

Jardin sur la dalle : LA solution pour végétaliser des environnements très denses ?

Un espace vert sur dalle implique de nombreuses contraintes.

Sans rentrer dans le détail, il faut à minima une structure renforcée en béton pour le soutenir, une étanchéité renforcée, une irrigation artificielle et un système permettant l’évacuation des eaux pluviales (pas de possibilité d’infiltration comme en pleine terre).

Le projet indique une épaisseur de terre de 120cm, sans préciser si elle sera sur toute la surface ou juste sur quelques fosses. Des arbres de hautes tiges pourront donc être plantés.

Mais, du fait d’un système racinaire contraint, les arbres se développeront moins et ils devront être haubanés et taillés pour éviter de tomber avec le vent. Leur effet « climatiseur » sera ainsi moindre.

Et en cas de problème d’étanchéités, il est nécessaire de déposer entièrement le parc et le replanter.

Donc, plus de consommation de ressources à la construction et notamment d’eau pour l’entretien, pour des bénéfices réduits…

Il n’y a donc aucune équivalence entre un jardin en pleine terre et un jardin sur dalle, le deuxième est un vrai défi technique, plus coûteux à construire et à entretenir, plus fragile et vit sous perfusion constante.

La ville souhaite faire du jardin sur dalle au cœur de cet îlot, un espace public : a-t-elle vraiment les moyens de prendre à sa charge son entretien et celui des espaces tous-terrains, dans un contexte budgétaire de plus en plus contraint ?

A ce stade du projet, des échanges avec les habitants très contraints

La réunion était essentiellement une réunion d’information. Il aurait été intéressant qu’un retour soit fait aux habitants des demandes et des remarques faites par le comité de suivi tout au long de la phase d’approfondissement du projet.

Aux interpellations des habitants, il est opposé les contraintes financières, les contraintes techniques et le timing du projet.

La ville a indiqué que le nouveau schéma respecte le cadre politique qu’elle a fixé. Elle ne souhaite pas ré-ouvrir le débat sur la densité : au-delà de la question de l’équilibre économique de cette opération privée mais d’intérêt général, elle fait valoir que pour pouvoir transformer le quartier il faut construire des logements, que pour bien fonctionner la ville a besoin d’un peu de densité et que ce projet ne sera pas plus dense que les 3 ZAC, Gagarine, le Plateau et Confluences.

Le calendrier est très serré pour tenir l’objectif d’un démarrage des travaux au 2éme semestre 2025 : les équipes de maîtrise d’œuvre de chaque ilot ont été désignées. Et la procédure de déclaration de projet emportant la mise en compatibilité du PLU a été engagée. Dans le cadre de l’enquête publique de cette procédure sera-t-il encore possible aux habitants de faire entendre leur voix ?

On peut regretter que cette opération privée d’intérêt général qui va transformer profondément un quartier, positionnée dans un secteur stratégique de la ville ne puisse se réaliser dans le cadre d’une procédure d’aménagement public.

Détails de l’enquête publique du 15 septembre au 18 octobre 2023

La commissaire enquêtrice dans son rapport de l’enquête publique liée à la procédure de modification du PLU a émis un avis défavorable.

Rappel des principaux thèmes évoqués par les participants :
– La hauteur des immeubles d’habitation situés sur une esplanade, la forte densité de population, les fragilités du marché de l’immobilier ;
– La qualité de vie, la sécurité, les enjeux climatiques
– Le stationnement, le trafic routier, les transports
– Les risques inondation, pollution, occupations humaines, installations industrielles
– Les nuisances occasionnées par les travaux, la possible présence d’amiante

Avis de la Commissaire-enquêtrice :
– Le cadre réglementaire de l’enquête publique a été respecté.
– Le réaménagement du centre commercial est nécessaire […].
– Le porteur du projet ne répond pas aux observations recueillies pendant l’enquête et qui concernent l’acceptabilité de l’opération du point de vue du cadre de vie […].
La faisabilité de cette opération totalement privée repose sur une exigence de rentabilité économique. Cette situation ne permet pas au porteur du projet de répondre à la demande d’un scénario alternatif facilitant son acceptabilité sociale.
– Le projet ne comporte pas de description précise des équipements publics, d’intérêt général […].
La ville dispose d’autres projets lui permettant de se développer en respectant les exigences du SDRIF. Par ailleurs, elle n’est pas en déficit de logements sociaux.
La mise en compatibilité du PLU […] est problématique.

Quais d’Ivry – schémas directeur initial et revu (source ville d’Ivry)

mots clés : Ivry Port / Ivry Confluences / Carrefour / Philippe Bouyssou

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