Portrait d’artisans – La Pagaille, recyclerie créée à Ivry-Port en 2017

De nombreux Ivryens fréquentent la Pagaille et l’ont intégrée dans leurs pratiques écologiques et solidaires. Aussi est-il intéressant d’en mieux connaître le fonctionnement.

Gaëtan Lecompte, directeur et Virginia Santilli, responsable financière ont exposé à Urbanicc leurs objectifs, les phases de mise en œuvre de ce projet et ses développements.

La Pagaille est une recyclerie généraliste et un Atelier Chantier d’Insertion

La Pagaille fonctionne sur le don et la récupération de tous types d’objets de la vie quotidienne (livres, meubles, quincaillerie, bibelots, outillages, habillement). Elle trie, nettoie, éventuellement répare pour vendre ou donner. Si le réemploi n’est pas possible, les objets sont réorientés en fonction de leur matière vers des partenaires de recyclage appropriés de façon à éviter au maximum de faire du déchet ultime.  En 2022 la Pagaille a traité 182 tonnes d’objets dont à peine 3% ont fini incinérés ou enfouis.  

La Pagaille est une association Loi 1901 avec un agrément atelier et chantier d’insertion. En partenariat avec la DRIEETS du Val de Marne, elle accompagne des salariés en insertion pour les aider à se former ou à trouver un emploi en fonction de leur projet professionnel.

Elle accueille ainsi 25 salariés en parcours d’insertion qui bénéficient d’un accompagnement pour les démarches administratives, pour leurs remises à niveau linguistiques et leurs besoins de formation. Elles les aide à formaliser et concrétiser leur projet professionnel et les conduit vers un emploi durable. Ce sont les prescripteurs institutionnels (Pôle emploi, Mission locale Ivry/Vitry, Cap emploi 94…) qui orientent les candidatures vers la Pagaille.

La Pagaille emploie 15 salariés permanents, 4 occupant des fonctions supports et 11 étant des encadrants ou assistants techniques. L’équipe est complétée par des personnes en service civique, en alternance, ou stagiaires (entre 6 et 8 personnes en permanence).

Compte tenu de la multitude d’objets traités, la recyclerie est organisée par pôle nécessitant des compétences spécifiques et pointues, ce qui permet d’offrir des opportunités d’emplois très diverses (dans le textile, les livres, l’électronique, l’informatique, l’électroménager, la menuiserie, le vélo…).

La Pagaille travaille en réseau avec des entreprises, certaines dans le quartier, afin d’organiser la sortie vers un emploi durable pour ses salariés en insertion.  

Les salariés en insertion restent en moyenne 18 mois et en général 70% d’entre eux connaissent une sortie positive, essentiellement locale. Des partenariats de confiance avec de futurs recruteurs sont à consolider afin de construire un réseau d’entreprises plus solide.

La Pagaille a également établi un partenariat avec les bailleurs sociaux présents dans le territoire en assurant des prestations de collecte en pied d’immeuble, d’animation et de sensibilisation au réemploi. (Valophis, Paris Habitat, Organismes hlm du groupe Action Logement ..)

Outre les piliers, écologie et insertion professionnelle, la Pagaille développe une activité sociale et solidaire. Cela se traduit entre autres par l’hébergement d’une cantine solidaire gérée par l’association des Bokhalès. Cette association emploie 3 salariés, 2 services civiques et des bénévoles.

La Pagaille joue également un rôle d’accueil et d’animation de la vie sociale du quartier : cours de français, aide aux devoirs, distribution gratuite de vêtements, permanences d’accès aux droits, mise à disposition d’une photocopieuse, assistance au numérique …

La Pagaille a aussi développé un volet culturel, notamment au travers d’un studio d’enregistrement, et organise des évènements tant sur place qu’hors les murs.

Histoire de l’entreprise : de la lutte contre la rénovation urbaine à un projet de recyclerie

Le projet de recyclerie a été porté initialement par 6/7 personnes qui résidaient à Ivry Port, et qui étaient à la recherche d’un métier ayant du sens en termes écologique et social.

Ces porteurs de projets étaient déjà actifs au sein du quartier d’Ivry-port depuis plusieurs années en participant à l’ouverture d’un centre social « autogéré « (le Dilengo) dans un bâtiment rue Molière le long de la voie ferrée. Cet immeuble avait été vidé de ses occupants (une entreprise) par la Sadev alors que la démolition dans le cadre de la ZAC Ivry Confluence n’était prévue que des années plus tard au cours de la 3ème phase du projet. Le centre social autogéré Dilengo a permis d’offrir un logement à des familles qui voulaient quitter le bidonville Roms ou qui étaient à la rue. Il a aussi fédéré des habitants du quartier – avec l’association « Ivry sans toi(t) » – contre les expulsions et expropriations qui ont marqué toute la première partie de la rénovation du quartier. « L’objectif était d’obtenir le droit à un relogement pour toutes les personnes concernées . Mais aussi de décrypter les enjeux urbains, sociaux et financiers d’un projet de rénovation où les risques de prise en main par les promoteurs au détriment des habitants étaient prévisibles ».  

Après une phase de tension avec l’aménageur au démarrage de la ZAC, le projet de recyclerie est né d’une conjonction de facteurs :

  • La volonté du collectif, au-delà de leur action militante, de créer une source de revenus conforme à leurs objectifs sociaux et écologiques.
  • La rencontre avec l’une des premières ressourceries créées dans Paris (La Petite Roquette)
  • L’existence dans l’environnement immédiat de savoirs faire de récupération, de réparation, de vente sur les marchés, notamment dans le bidonville  de Roms
  • La volonté de la ville de développer l’économie sociale et solidaire et des tiers lieux qui se traduisait dans le programme municipal par l’aide à la création d’une ressourcerie.
  • L’opportunité, repérée par le collectif, d’une occupation temporaire d’un lieu qu’il est prévu de démolir à terme, en dernière phase de la ZAC.
  • La capacité du collectif à mobiliser tout un réseau de bénévoles.

Le collectif, très attaché à Ivry-Port, a établi un rapport de confiance avec la ville sur la base d’un projet très coopératif, qui était modeste au départ. Ce partenariat a débouché sur une convention qui prévoyait que la ville mette à disposition gratuitement le lieu, à condition que le collectif s’engage en contrepartie à le réhabiliter aux normes de sécurité en vigueur pour les établissements recevant du public et des salariés. L’aménageur, la SADEV en avait déjà acquis la maitrise foncière.

La réhabilitation de ce lieu s’est appuyée sur des subventions et sur beaucoup de bénévolat grâce à des membres qui avaient de solides compétences dans le domaine des travaux en bâtiment. L’engagement militant de ces bénévoles dans la mise aux normes des bâtiments ont été à l’origine d’économies substantielles qui ont permis de consacrer une partie des subventions au démarrage du projet et à la constitution d’une trésorerie. La mise en route de la Pagaille n’aurait pas été possible sans un important réseau et amis attachés au quartier. C’est également la mobilisation des dispositifs de contrats aidés (avant leur suppression)  et d’aides sociales qui ont permis le décollage du projet.

Pendant les deux premières années, l’association n’a pu dégager de salaires.

Très vite est apparu l’intérêt tant social qu’économique de faire reconnaître la dimension d’insertion que la recyclerie pratiquait de façon informelle.

L’obtention de l’agrément par l’Etat comme « atelier d’insertion » a constitué une étape importante dans la reconnaissance de la structure et dans son intégration dans un réseau national. Cela a été un temps de forte mobilisation pour franchir toutes les étapes de cette procédure d’appel à Manifestation d’Intérêt (constitution d’un dossier avec une vision à moyen terme,  passage devant un jury, mise en place de dispositifs locaux d’accompagnement..) Ce volet insertion a pris de plus en plus de place aux côtés des deux autres piliers, écologie et animation/ solidarité.

Militantisme, bénévolat, détermination du collectif à se positionner comme acteur du territoire, convergences d’objectifs avec la ville et adhésion des Ivryens au projet ont permis à la Pagaille de connaître un développement rapide, et d’obtenir une reconnaissance tant sociale que politique.

Perspectives d’évolution : vers un ancrage stabilisé dans le territoire d’Ivry Port ?

La Pagaille est ancrée dans Ivry-Port mais rayonne, au-delà, dans la ville comme lieu à fort impact environnemental, social et culturel. Ce sont jusqu’à 2000 personnes  qui passent à la Pagaille ou sur ses activités hors les murs par semaine.

Elle a ouvert un nouveau lieu à Vitry où la ville leur a mis à disposition un local de 300 m²  près de la mairie pour un loyer modique. Ce lieu « La Bidouille » accueille l’atelier vélo de La Pagaille un tanneur en micro-entreprise, et deux associations de sérigraphie sur textile et de peintures murales.

Elle envisage d’aménager une boutique dans un local de 100 m² au sein du centre Jeanne Hachette pour donner plus de visibilité à l’entreprise à l’échelle de la ville (lieu de vente et de sensibilisation ).

L’association cherche maintenant à consolider les 3 piliers du projet :

  • Insertion : Il s’agit d’abord de stabiliser la Pagaille en nombre de salariés accompagnés en améliorant la performance des dispositifs d’accompagnement.
  • Ecologie : Pour la recyclerie, l’association souhaite tendre vers le zéro déchet » « , ce qui nécessité d’avoir une réflexion sur la manière de traiter tous les déchets qu’ils soient du papier, du plastique, du compost et de s’outiller …Aujourd’hui de nouvelles méthodes de traitement  émergent . L’idée également est d’enrichir les partenariats avec les entreprises du quartier en articulant les volets insertion par l’emploi et traitement de leur déchets (cartons…).
  •  Pour le pilier social et animation, l’association veut renforcer son rôle dans le quartier en obtenant l’agrément de la CAF «  établissement de vie sociale » de façon à  compléter l’action de la maison de quartier qui touche moins les habitants du Sud d’Ivry Port, trop éloignés géographiquement.

Aujourd’hui la préoccupation principale de la Pagaille est d’avoir une visibilité sur un scénario d’installation durable dans le cadre du projet urbain de la ZAC. Depuis 7 ans, La Pagaille finance et réalise de gros travaux d’aménagement afin que le site soit aux normes et adapté à l’activité de recyclerie. Ce sont des sommes considérables pour une telle structure, et qui plus est, des sommes investies sans savoir si c’est pour 1 an, 5 ans ou plus et donc sans moyen de jauger les efforts financiers à faire. Pour le relogement, 2000 m2 sont nécessaires avec des contraintes particulières compte tenu des flux de matériaux, de véhicules, de la nécessité d’aménager divers ateliers, d’accueillir le public … une activité difficilement compatible avec la vocation résidentielle au sein d’un bâtiment. Le modèle économique particulier de type ESS constitue également une difficulté.

Cette incertitude est un frein au développement du projet. Les habitants très attachés aux services qu’offre cette structure, unique à Ivry, sont également impatients de connaître la solution qui sera mobilisé pour éviter un départ du territoire ou une fermeture.

En guise de Conclusion

« Des projets, comme le nôtre, répondant à des objectifs d’intérêt général devrait pouvoir bénéficier d’un suivi par un référent unique au sein de la collectivité locale. Il accompagnerait leur développement, et serait une sorte d’interface avec tous les acteurs concernés, qui sont souvent très nombreux ».