Quais d’Ivry : quels enseignements de la concertation menée en amont du projet urbain ?

Le centre commercial Quai d’Ivry ouvert en 1982 connaît une désaffection, notamment de sa galerie commerciale. Cette situation conduit ses propriétaires, Carrefour Property (pour l’Hypermarché) et KKR (pour la galerie marchande) à envisager une transformation radicale de ce « paquebot commercial », emblématique de l’urbanisme péri-urbain des années 80, déconnecté de la rue et organisé pour la voiture.

Cette opération de grande ampleur, portée par des acteurs privés, est menée en partenariat étroit avec la ville d’Ivry qui a établi un cahier des charges fixant les objectifs suivants :

  • « Rendre le ciel aux Ivryens ».
  • Retrouver une offre commerciale comparable.
  • Reconquérir la Seine.
  • Réouvrir la Place des Fauconnières.
  • Créer un quartier mixte, commerces, activités et logements à condition que le programme comporte une part significative de logements sociaux.
  • Mettre en place un processus de concertation avec les habitants tout au long de l’opération.

Cet ensemble occupe une position stratégique, d’entrée de ville, de rotule entre les quartiers Bruneseau, Ivry confluences, et Zac Charenton.

Fiche signalétique

L’emprise concernée couvre une superficie de 58.860 m2 . Le programme envisagé à ce stade de l’étude, a été légèrement ajustée à l’issue des premières phases de concertation :

  • 1.150 logements (accession libre, à coût maîtrisé, et logement locatif social)
  • 450 unités de vie spécialisées (chambres étudiants, résidences seniors, co-living..)
  • 14.000 m2 hypermarché + 12.500 m2 de socle actif (commerces, services, loisirs, restaurants)
  • 12.000 m2 d’activités économique (PME/PMI, logistiques urbaines, bureaux)
  • 1.000 places de parking

Ce programme correspond à la réalisation de surfaces bâties trois fois supérieures à celle de l’emprise au sol.

Projet Quais d’Ivry – source : Ville d’Ivry-sur-Seine (mai 2022)

Les points clés de la phase amont de la concertation

Quels que soient les débats que suscite ou va susciter cette opération, la qualité du dispositif de concertation déployé dés le démarrage de l’étude, mérite d’être saluée. Il peut en effet servir de référence en terme de méthode tant pour les habitants revendiquant une participation citoyenne au développement que pour les responsables de projets urbains.

A Ivry-sur-Seine, une concertation à géométrie variable selon les projets urbains

La concertation sur l’opération de démolition/reconstruction du centre commercial de Quais d’Ivry s’est engagée sur la base d’un programme, défini par les opérateurs privés, qu’ils ont posé comme un invariant, et que les habitants n’ont pu infléchir qu’à la marge. Néanmoins la déclinaison de ce programme en un projet de remodelage urbain donne lieu à une concertation ouverte, itérative, séquencée et lisible pour les habitants.

Par contre pour la ZAC Ivry Confluences qui, avec la construction de 7.000 logements, est le projet
de développement urbain le plus important d’Ivry, les acteurs n’ont pas su trouver un dispositif de
concertation, adapté à chaque phase, répondant aux attentes des habitants dans leur diversité.

Les habitants, à diverses reprises, ont exprimé leur insatisfaction « une concertation en pointillé, de façade, relevant plus de l’information et de la communication que de la co-construction, une concertation limitée à des aménagements ponctuels, ne faisant pas de place à la parole des habitants sur les enjeux fondamentaux ». En bref, un ressenti de faux semblant de concertation.

A cette phase du projet où les chantiers s’accélèrent, où le quartier en construction doit trouver sa cohésion sociale et urbaine, il est urgent d’avoir un grand débat entre ville, aménageur, équipe de maîtrise d’œuvre, acteurs de terrain, habitants sur les modalités d’une concertation plus mobilisatrice, plus structurée, plus suivie, ciblant les questions correspondant aux préoccupations des différents groupes d’habitants.

Un affichage par les deux promoteurs d’invariants du projet qui ont borné la concertation

  • Démolir le centre commercial et les ponts bâtis,
  • Conserver l’hypermarché dans un format adapté aux nouvelles pratiques commerciales et accompagné d’une offre de services et commerces complémentaires,
  • Construire un quartier mixte, habitat, et activités économiques.

Certains habitants se sont étonnés que ne soit pas envisagée une transformation plutôt qu’une démolition du centre commercial : les architectes urbanistes ont indiqué qu’après étude, cet urbanisme de dalle, très minéralisé, et cette architecture peu chaleureuse, sont incompatibles avec l’objectif du retour à la rue accompagnée d’aménités urbaines.

Les habitants ont adhéré au projet d’intégrer le futur hypermarché dans la ville, mieux connecté à son environnement, de retrouver des rues commerçantes à ciel ouvert , des cheminements piétons, et une ouverture sur la Seine. Ils ont exprimé leur attachement au maintien d’un hypermarché.

Un dispositif qui a permis d’impliquer un public diversifié

La concertation s’est appuyée sur :

  • Une enquête auprès des usagers et habitants
  • Une balade urbaine
  • Des ateliers participatifs
  • Des rencontres avec les commerçants et les copropriétaires limitrophes
  • Des permanences et des ateliers de sensibilisation avec des étudiants, des jeunes de 14 à 20 ans et des écoles élémentaires
  • Des réunions publiques

250 personnes ont répondu à l’enquête et 150 ont participé aux ateliers et réunions.

Une démarche séquencée, lisible avec un travail itératif en ateliers

Une 1ère phase avec 3 ateliers participatifs sur les thèmes, « se déplacer », « ambiances urbaines du futur quartier, « son animation », a permis aux habitants de participer au diagnostic et à la définition des grands axes du projet.

Dans une deuxième phase qui a également été organisée en 3 ateliers consacrés aux espaces publics et programmation des rez-de-chaussée, aux formes urbaines (hauteur, volumes …) et à l’ambiance environnementale, les habitants ont alimenté la réflexion sur la spatialisation du projet.

Entre chaque atelier les questions et propositions des habitants ont enrichi ou modifié le projet par un travail itératif avec les concepteurs.

Des restitutions à chaque étape

Chaque étape à fait l’objet d’une restitution des travaux menés, qui a été mise à disposition des habitants sur le site de la ville et présentée en réunions publiques.

Des équipes de maîtrise d’œuvre à l’écoute, facilitatrices

L’équipe chargée de la concertation (agence EKER) a eu le souci constant que toutes les questions posées par les habitants aient des réponses, et que les choix soient explicités. Elle a veillé à ce que la diversité des points de vue des habitants s’expriment y compris les points de désaccord.

Les architectes urbanistes (agence CoBe) ont été présents à tous les ateliers, ont accompagné les habitants dans leurs échanges, et leur familiarisation avec tous les enjeux urbains de ce projet. Ils ont tenté, entre chaque atelier, de traduire spatialement leurs attentes dans le cadre de la feuille de route fixée par les opérateurs.

Des acteurs du projet présents dans tous les ateliers

Les deux opérateurs et les élus ayant participé à tous les ateliers, ont pu entendre les attentes des habitants, leurs inquiétudes et repérer les points sensibles.

Une concertation qui va se poursuivre aux différentes étapes

Un groupe de suivi va être mis en place constitué d’habitants, d’usagers, de commerçants. Dans le cadre de réunions mensuelles il va être associé à la phase d’élaboration et montage du projet.

Il est prévu que la concertation se poursuive tout au long du chantier.

Les habitants ont souligné la qualité de cette concertation. Cependant ils se sont demandés s’ils ne vont pas servir de caution à un projet dont le programme défini par les opérateurs va contraindre fortement les formes urbaines.

Projet Quais d’Ivry – source : Ville d’Ivry-sur-Seine (mai 2022)

Les grands axes du projet

  • Démolition totale du centre commercial et des deux ponts bâtis .
  • Création d’une rue commerçante piétonne à ciel ouvert, de la rue JJ Rousseau à la rue Paul Vaillant Couturier (parallèle à Westermeyer).
  • Création de 2 traverses piétonnes de la rue Lénine à la rue Vanzuppe (parallèle à JJ Rousseau) et de la rue Lénine à travers les Fauconnières.
  • Aménagement d’un square à l’angle JJ Rousseau et Wertermeyer et d’une place à l’angle des rues Westermeyer et Paul Vaillant Couturier.
  • Création d’une passerelle en pente douce (sans escalier ni ascenseurs) depuis le futur square vers un belvédère au-dessus de la Seine.
  • Découpage de l’emprise en 6 îlots + 1 ilot côté Fauconnière qui sera entièrement dédié à un pôle d’activités (aucun logement dans cet îlot).
  • L’hypermarché occupera l’ilot entre la rue piétonne et la rue Vanzuppe et l’accès logistique se fera par la rue Vanzuppe.
  • Des immeubles seront construits au-dessus du toit de l’hypermarché autour d’un espace verts (en cœur).
  • Square, place, traverses, cœur d’ilôt, rue piétonne commerçante auront un statut public (cession à la collectivité après aménagement).
  • L’opération sera menée dans le cadre d’un périmètre de projet qui sera intégré au PLU.
  • Une offre en places de parkings sera maintenue : 1.000 places (aujourd’hui 1.800).
  • La programmation des équipements se fait dans le cadre de la ZAC Ivry Confluences avec contribution financière des porteurs de projet des Quais d’Ivry, notamment pour le 4ème groupe scolaire (par le biais de la taxe d’aménagement).

Un projet qui va apporter une nouvelle qualité urbaine dans le quartier mais qui soulève des interrogations chez les habitants

Les habitants partagent le diagnostic urbain finalisé par l’agence COBE et la nécessité d’agir rapidement pour transformer cet ensemble obsolète. Ils ont souligné les aspects prometteurs du projet pour le quartier : sa porosité avec la ville, la relation avec la Seine, le retour d’une qualité de rue à l’échelle du piéton, le maillage des cheminements piétons, la mixité des fonctions envisagée, la création de nouveaux espaces publics.

Cependant ce projet suscite inquiétudes, interrogations et débats.

La première question qui fait débat concerne la densité

Outre les activités commerciales et économiques, cette opération va accueillir autour de 3.000 habitants. Comment seront gérés ces flux de population et de circulation sur un espace relativement restreint, d’entrée de ville, s’interrogent les habitants ? Ils ont rejeté l’idée d’une tour signal de très grande hauteur (R+40 de 300 logements), qui a été abandonnée. Mais ils considèrent que les hauteurs envisagées (R+5, R+9 , R+16) sont en rupture avec la quartier actuel, plutôt bas, et s’interrogent sur leurs impacts pour la copropriété riveraine et les ensembles HLM voisins.

« Ce n’est pas très humain » a commenté une habitante.

Il a été indiqué aux habitants que le programme et la densité sont imposés par l’équilibre financier de l’opération de démolition / reconstruction et que l’impact des hauteurs sera atténué par un traitement de qualité à l’échelle piéton.

Les habitants n’ont pas été convaincus par les arguments. Ils demandent une transparence sur le bilan financier et sur les arbitrages. Les élus et les opérateurs s’y sont engagés.

Il a par ailleurs été convenu que cette question de la densité devra être travaillée dans le futur comité de suivi et dans les réunions publiques.

La demande forte des habitants de végétalisation, de nature en ville, de pleine terre a été entendue mais n’a peut-être pas toutes les traductions espérées

Si les usages proposés par les habitants pour le futur square JJ Rousseau ont été pris en compte, ceux-ci regrettent que sa superficie (2.300 m2), n’ait pas pu être davantage augmentée.

Les habitants ont plaidé pour que le cœur d’îlot (5.900 m2) prévu sur le toit de l’hypermarché soit fortement végétalisé. Mais ils s’interrogent sur la possibilité d’appropriation par les habitants du quartier d’un espace qui va être entouré d’immeubles et sont sensibles aux risques de nuisances pour les riverains et de conflits d’usage.

Les habitants ont beaucoup d’attentes sur l’aménagement des bords de Seine qui va nécessiter des négociations entre la ville et HAROPA – Ports de Paris.

Le temps long du projet et la gestion du chantier interpellent les habitants

Les promoteurs du projet indiquent que le délais de 3 ans (2022-2024) pour l’élaboration du projet et son montage est incompressible. Tous les efforts seront faits pour que la réalisation s’étende de 2025 à 2030. Il sera procédé aux démolitions par étape, et l’ouverture de l’hypermarché sera maintenue tout au long du chantier.

Les habitants s’inquiètent des nuisances du chantier, notamment pour les riverains.

Pendant tout ce temps, ne peut-on faire vivre le centre par des occupations temporaires, s’interrogent les habitants ?  

Projet Quais d’Ivry – source : Ville d’Ivry-sur-Seine (mai 2022)

Les habitants posent la question des rapports de force entre la ville et les opérateurs privés

Les élus auront-ils les moyens de faire valoir les intérêts et les attentes des habitants, la cohérence de l’opération avec les autres projets en cours ?

Les élus ont indiqué qu’ils ont à leur disposition les outils réglementaires d’autorisation des opérations d’urbanisme et de construction et qu’ils se positionnent dans une négociation constructive dès l’amont de l’opération.

Les élus ont également tenu à indiquer aux habitants qu’ils sont conscients des contraintes techniques de cette opération qui vont nécessairement peser sur le programme et son équilibre financier.

Cette opération suscite l’intérêt des habitants, au-delà du périmètre du quartier. Elle va profondément transformer le paysage urbain de ce secteur d’Ivry-Port. Après la première phase de concertation dont  les méthodes mobilisées pourraient inspirer les autres démarches citoyennes en cours sur le développement urbain de la ville, les habitants attendent de pouvoir faire valoir leur parole aux différentes phases.

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